L'Aigle et la conscience de l'homme. Carlos Castaneda

Publié le 8 Octobre 2016

Un article du Libé du 28 janvier 2013 "Le feu intérieur du Burn-Out" est consacré à la sortie de l'ouvrage "Global Burn-Out", qui revient sur ce concept issu de la psychologie et qui désigne un état d'épuisement et d'ennui, typiquement moderne. Le Burnout psychologique a été conceptualisé pour la première fois par Herbert Freudenberger en 1974 dans son ouvrage "Staff burnout", mais le terme avait été inventé par Graham Greene dans son roman "A Burnt-Out Case" (1960).
"Incendie intérieur" "feu intérieur", "feu dévastateur", autant de termes employés par l'auteur de l'article pour parler de ce mal contemporain mais qui, pour les lecteurs de Carlos Castaneda, rappellent plutôt son "Fire from within" "Le feu du dedans", qui désigne … tout le contraire du "Burn-Out"

"Lorsque je lui demandai une fois quel était le principal caractère des voyants du nouveau cycle, il répondait qu'ils étaient les guerriers de la liberté totale, qu'ils possédaient une telle maîtrise de la conscience, de l'art de traquer et de l'intention que la mort ne les surprenait pas comme elle surprend les autres mortels, mais qu'ils choisissaient le moment et la forme de leur départ de ce monde. Le moment venu, ils étaient consumés par un feu intérieur et s'évanouissaient de la surface de la terre, libres, comme s'ils n'avaient jamais existé."
Carlos Castaneda, Le Feu du Dedans, 1984, traduit par Amal Naccache, Gallimard, 1985. Editions Folio Essais, avril 1998, page 15

C'est dans cet ouvrage de 1984 que Castaneda rapporte pour la première fois l'enseignement de Don Juan sur la première et la seconde attention, sur l'oeuf lumineux, le point d'assemblage et qu'il évoque aussi l'Aigle, source de la conscience de l'homme.

"Il me dit que les conclusions auxquelles on accède par le raisonnement avaient très peu, voire pas d'influence susceptible de modifier le cours de notre vie. D'où les innombrables exemples de personnes qui, étant les plus lucides dans leurs convictions, agissent pourtant sans cesse dans un sens diamétralement opposé à celles-ci ; et la seule explication qu'ils donnent à leur conduite est que l'erreur est humaine.

"La première vérité est que le monde est ce qu'il paraît, et pourtant ne l'est pas. Il n'est pas aussi solide ni réel que notre perception a été amenée à le croire, mais il n'est pas non plus un mirage. Le monde n'est pas une illusion, comme on l'a dit ; il est réel, et il est irréel. Sois très attentif à cela, car il ne faut pas seulement que tu l'acceptes, il faut que tu le comprennes. Nous percevons. Cela est un fait d'évidence. Mais ce que nous percevons n'est pas un fait du même ordre car on nous enseigne ce qu'il faut percevoir.
"Quelque chose, là dehors, affecte nos sens. Cela est réel. Ce qui n'est pas réel, c'est ce que nous disent nos sens sur la nature de cette chose. (…) Nos sens perçoivent comme ils le font parce qu'une propriété spécifique de notre conscience les y force."
(…)
Don Juan me demanda d'un ton mi-figue, mi-raisin si je connaissais une meilleure façon de répondre à la question qui a toujours hanté l'homme : la raison de notre existence. Je pris tout de suite une position défensive et commençai par dénoncer l'absurdité de la question, car elle ne pouvait faire l'objet d'une réponse logique. Pour discuter de ce sujet, poursuivi-je, il faudrait que nous parlions des croyances religieuses et que nous en fassions entièrement une question de foi.
"Les anciens voyants ne parlaient pas que de foi, dit-il. Ils n'avaient pas l'esprit aussi pratique que les nouveaux voyants mais ils l'avaient suffisamment pour savoir ce qu'ils voyaient. Ce que je tentais de t'indiquer par cette question qui t'a tellement ébranlé, c'est le fait que notre rationalité ne peut trouver à elle seule une réponse quant à la raison de notre existence. A chacune de ses tentatives, la réponse débouche sur une question de foi. Les anciens voyants ont pris une autre voie et ils ont bien trouvé une réponse qui n'implique pas la foi seule.
"Les anciens voyants, en prenant des risques follement dangereux, poursuivit-il, virent véritablement la force indicible qui est la source de tous les êtres sensibles. Ils l'appelèrent l'Aigle car, dans les rares et brèves visions qu'ils purent soutenir, ils virent cette force sous une forme qui ressemblait à celle d'un aigle noir et blanc, d'une dimension infinie.

Ils virent que c'est l'Aigle qui donne la conscience. L'Aigle crée les êtres sensibles afin qu'ils vivent et enrichissent la conscience qu'il leur donne en même temps que la vie. Ils virent aussi que c'est l'Aigle qui dévore cette conscience enrichie après avoir fait en sorte que les êtres sensibles s'en dessaisissent au moment de leur mort.
(...)
A son avis, il serait plus exact de parler de l'existence d'une force qui exerce une attraction sur notre conscience, d'une façon assez semblable à celle d'un aimant attirant des pailles de fer. Au moment de la mort, tout notre être se désintègre sous l'attraction de cette force immense.
Il trouvait grotesque qu'un tel événement soit interprété par l'image de l'Aigle en train de nous dévorer, parce que cette interprétation transforme un acte indicible en un fait aussi banal que celui de manger.
(...)
- Comment l'homme utilise-t-il les émanations (de l'Aigle), don Juan ?
- C'est si simple que cela en a l'air idiot. Pour un voyant, les hommes sont des êtres lumineux. Notre luminosité est composée de la partie des émanations de l'Aigle qui se trouve enfermée dans notre cocon en forme d'oeuf. Cette partie spécifique, cette poignée d'émanations enfermées est ce qui fait de nous des hommes. Percevoir consiste à accorder les émanations qui se trouvent à l'intérieur de notre cocon avec celles qui se trouvent à l'extérieur.

Carlos Castaneda, Le Feu du Dedans, 1984, traduit par Amal Naccache, Gallimard, 1985. Editions Folio Essais, avril 1998, pages 66-80

Rédigé par Agnès

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