Le faux dualisme - extrait "le passage des sorciers" Taïsha Abelar

Publié le 11 Juin 2021

page 67 -
"« Rester divisé est le lot de notre condition humaine,
admit-elle. Cependant, notre division n'est pas entre l'esprit
et le corps, mais entre le corps, qui héberge l'esprit ou le
soi, et le double, qui est le réceptacle de notre énergie fondamentale. »
Elle expliqua qu’avant la naissance la dualité imposée à
l’homme n'existe pas, mais qu'à partir de la naissance les
deux parties sont séparées par la force de l'intention de l'espèce humaine. Une partie se tourne vers l’extérieur et
devient le corps physique; l'autre vers l’intérieur et devient
le double. À la mort, la partie la plus lourde, le corps,
retourne à la terre pour être absorbée par elle, et la partie
légère, le double, devient libre. Malheureusement, comme
le double n'a jamais été mené à la perfection, il n’expérimente la liberté que pendant un instant, avant d’être éparpillé dans l'univers.
« Si nous mourons sans effacer notre faux dualisme du
corps et de l’esprit, nous mourons d'une mort ordinaire,
dit-elle.
- Comment pouvons-nous mourir autrement ? »
Clara me fixa avec un sourcil levé. Plutôt que de répondre
à ma question, elle me révéla sur le ton de la confidence que
nous mourons parce que la possibilité de nous transformer
ne nous est pas concevable. Elle souligna que cette transformation doit être accomplie pendant la durée de notre
vie, et que l'achèvement de cette tâche est le seul but que
puisse avoir un être humain. Toutes les autres réalisations
sont transitoires, puisque la mort les transforme en néant."

page 68 - premier exercice

"Clara affirma que chaque procédé qu'elle allait m’apprendre, chaque tâche qu’elle me dirait d’accomplir, aussi ordinaires qu'ils puissent paraître, était un pas en direction du but ultime de l'art de la liberté : le vol abstrait.
« Ce que je vais te montrer d’abord, ce sont de simples
mouvements à effectuer quotidiennement, poursuivit-elle.
Considère-les toujours comme une partie essentielle de ta vie.
«D'abord, je vais te montrer une respiration qui est
restée secrète pendant des générations. Cette respiration reflète les forces duelles de création et de destruction, de lumière et d’obscurité, d'être et de non-être. »
Elle me dit de sortir de la grotte puis, en me manipulant
doucement, me fit m'asseoir, le dos arrondi, les genoux
ramenés à la poitrine aussi haut que possible. En gardant les pieds au sol, je devais encercler mes mollets avec les bras et croiser fermement les mains devant les genoux ou, si je voulais, je pouvais agripper chaque coude. Elle poussa doucement ma tête en avant jusqu'à ce que mon menton touche ma poitrine.
Je devais tendre les muscles de mes bras pour empêcher mes genoux de s'écarter. Ma poitrine et mon ventre étaient contractés. Ma nuque craqua lorsque je rentrai le menton.
« C'est une respiration puissante, dit-elle. Elle peut t’épuiser ou t’endormir. Si c’est le cas, rentre à la maison quand tu te réveilleras. À propos, cette grotte est juste derrière la maison. Suis le sentier, et tu seras arrivée en deux minutes. »
Clara m'enjoignit de prendre des inspirations courtes et
légères. Je lui répondis que sa requête était redondante,
puisque c'était la seule manière dont je pouvais respirer
dans cette position. Elle dit que, même si je relâchais seulement en partie la pression de mes bras, ma respiration redeviendrait normale. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait. Elle voulait que je poursuive ces respirations saccadées pendant au moins dix minutes.
Je demeurai dans cette position peut-être une demi-heure, en respirant légèrement comme elle me l’avait indiqué.
Quand les crampes initiales dans l'estomac et les jambes eurent disparu, les respirations semblèrent adoucir mes viscères et les dissoudre. Puis, après un temps atrocement long, Clara me donna une impulsion qui me fit rouler sur le dos, sans toutefois me laisser relâcher la pression de mes bras. Je me sentis soulagée un moment lorsque mon dos toucha le sol, mais ma poitrine et mon ventre ne se détendirent que lorsqu'elle m'ordonna de dénouer mes mains
et d'allonger les jambes. La seule façon de décrire ce que je ressentis serait de dire que quelque chose en moi avait été déverrouillé par cette respiration, avait été également dissous ou libéré. Comme l'avait prédit Clara, je me sentis si étourdie que je rampai à l'intérieur de la grotte et tombai endormie.
Je dormis sans doute au moins deux heures dans la
grotte ; et à en juger par ma position au réveil, je n'avais pas bougé d'un muscle. Je pensai que c'était probablement parce qu'il n'y avait pas de place dans la grotte pour se retourner ou bouger dans le sommeil, mais peut-être aussi en avait-il été ainsi parce que j'étais tellement détendue que je n'avais pas besoin de bouger.
Je rentrai à la maison, suivant les directives de Clara. Elle était dans le patio, assise dans un fauteuil en rotin. J’eus l'impression qu'une autre femme était assise auprès d’elle et s’était éclipsée dès qu'elle m'avait entendue arriver.
«Ah, tu parais beaucoup plus détendue maintenant, dit
Clara. Cette respiration et cette posture font pour nous des merveilles. »
Clara affirma que, si cette respiration était pratiquée
régulièrement, avec calme et détermination, elle rééquilibrait graduellement notre énergie interne.
Avant que je puisse dire combien je me sentais revigorée,
elle me demanda de m'asseoir parce qu'elle voulait me
montrer une autre manœuvre corporelle cruciale pour effacer notre faux dualisme."

page 70 - 2ème exercice

"Elle me demanda de m’asseoir, le dos droit et les yeux légèrement baissés, contemplant le bout de mon nez.
« Cette respiration devrait être effectuée sans contrainte
vestimentaire, poursuivit-t-elle. Mais, plutôt que de te faire
mettre nue dans le patio en plein jour, nous ferons une
exception. D’abord, tu inspires profondément, emmagasinant l’air comme si tu respirais à travers ton vagin. Rentre
ton estomac et amène l’air le long de ta colonne vertébrale,
au-delà des reins, à un point entre tes omoplates. Retiens
l’air là un moment, puis élève-le encore par-dessus ta tête
jusqu’au point entre les sourcils. »
Après avoir gardé l’air un moment à ce niveau, je devais
expirer par le nez, en guidant mentalement le souffle sur le
devant de mon corps, d’abord jusqu'au point en dessous du
nombril, puis à mon vagin, où le cycle avait commencé.
Je commençai à pratiquer l'exercice de respiration.
Clara posa sa main à la base de ma colonne vertébrale, puis
traça une ligne en montant le long de mon dos, au-dessus
de ma tête, et pressa doucement le point entre mes sourcils.
« Essaie d’amener ta respiration ici, dit-elle. Tu gardes les
yeux entrouverts pour pouvoir te concentrer sur le bout de
ton nez quand tu fais circuler l’air le long de ta colonne
vertébrale et au-dessus de ta tête jusqu’à ce point; et
aussi pour pouvoir utiliser ton regard afin de guider l'air
sur le devant de ton corps, de le ramener à tes organes
sexuels. »
Clara dit que cette circulation de la respiration crée un
bouclier impénétrable empêchant les influences corruptrices extérieures de transpercer le champ énergétique du
corps; il empêche également l’énergie vitale intérieure de
s'échapper à l’extérieur. Elle insista sur le fait que l’inspiration et l’expiration devaient être inaudibles, et que l’exercice de respiration pouvait être effectué que l'on soit
debout, assise ou allongée, quoiqu’il vaille mieux au début
le faire assise sur un coussin ou une chaise.
« Maintenant, dit-elle, en rapprochant sa chaise de la
mienne, parlons de ce que nous avons commencé à aborder
ce matin : la récapitulation. »"

page 89

"Comme je l’en pressais désespérément, elle expliqua que
ce vol inimaginable était symbolisé par le mouvement du
côté droit du front au gauche, mais que cela signifiait en
réalité amener notre partie éthérique, notre double, dans
notre conscience quotidienne. Elle poursuivit :
« Comme je te l'ai déjà expliqué, le dualisme corps-esprit
est une fausse dichotomie. La vraie division a lieu entre le
corps physique, qui loge l'esprit, et le corps éthérique, ou le
double, qui loge notre énergie. Le vol abstrait se produit
quand nous amenons notre double à influencer notre vie
quotidienne. En d'autres termes, au moment où notre corps
physique devient totalement conscient de sa contrepartie
éthérique énergétique, nous avons franchi le pas dans l’abstrait, un monde de conscience complètement différent.
- Si cela signifie que je dois d'abord changer, je doute
sérieusement de jamais pouvoir effectuer ce passage, dis-je.
Tout semble si profondément enraciné en moi que je me
sens fixée à vie. »
Clara versa de l’eau dans sa tasse, posa le pichet de céramique et me regarda en face.
« Il y a un moyen de changer. Et maintenant, tu y es plongée jusqu'au cou; cela s'appelle la récapitulation. »
Elle m’assura qu’une récapitulation profonde et complète nous permet d’être conscients de ce que nous voulons
changer, en nous faisant voir sans illusion notre vie. Cette
vision nous donne un moment de pause où nous pouvons
choisir d’accepter notre comportement habituel ou de le
changer en formant l’intention de nous en débarrasser,
avant qu’il ne nous piège complètement."

page 150

"Elle se plaça à un endroit où le sol était régulier et se tint
pieds joints, les bras le long du corps.
« Clara, attends. Je suis sûre de ne pas avoir assez d'énergie pour voir ce dont tu parles, parce que je ne peux même
pas le comprendre intellectuellement.
- Le comprendre intellectuellement est sans importance.
Contente-toi d’observer attentivement, j'ai peut-être assez
de pouvoir pour que nous ayons toutes les deux l'intention
de mon double. »
Du mouvement le plus agile que je lui aie jamais vu effectuer, elle amena ses bras au-dessus de sa tête, ses paumes
jointes en geste de prière. Puis elle se cambra en arrière,
formant un bel arc avec ses bras étendus derrière elle,
presque jusqu'au sol. Elle donna à son corps un petit élan
latéral vers la gauche, de sorte qu’instantanément elle finit
courbée en avant, touchant presque le sol. Avant que je sois
restée bouche bée de surprise, elle était revenue d'un petit
coup latéral à la première position, son corps gracieusement arqué en arrière.
Elle pivota d’arrière en avant deux autres fois, comme pour
me donner une chance de voir ses mouvements inconcevablement rapides et gracieux, ou peut-être d'apercevoir son
double. A un moment, je la vis comme une forme floue, exactement comme si elle était une photographie grandeur nature
en surimpression. Une fraction de seconde, il y eut deux Clara
bougeant, l’une un millième de seconde derrière l’autre.
Ce que je voyais me plongeait dans la plus grande perplexité. En y réfléchissant, je pouvais l’expliquer comme
une illusion d'optique créée par la rapidité de son mouvement. Mais au niveau physique, je savais que mes yeux
avaient vu une chose inconcevable; j'avais eu assez d'énergie pour suspendre ce à quoi s'attendait mon bon sens et
laisser pénétrer une autre possibilité.
Clara cessa ses exquises acrobaties et vint près de moi,
pas même essoufflée. Elle expliqua que cette passe de sorcellerie permet au corps de s’unir à son double dans le
monde du non-être, dont l'entrée plane au-dessus de la tête,
légèrement en arrière.
« En nous courbant en arrière, les bras étendus, nous
créons un pont, dit Clara. Et puisque le corps et le double
sont comme les deux extrémités d'un arc-en-ciel, nous pouvons former l’intention qu’ils se rejoignent.
- Y a-t-il un moment spécifique où je devrais pratiquer
cette passe? demandai-je.
- C'est une passe du crépuscule. Mais, pour la faire, il
faut avoir énormément d’énergie et être extrêmement
calme. Le crépuscule t’aide à devenir calme et te donne
un surcroît d'énergie. C'est pourquoi la fin du jour est le
meilleur moment pour la pratiquer.
- Devrais-je l'essayer maintenant ? »
Comme elle me regardait d'un air de doute, je lui assurai
que j'avais fait beaucoup de gymnastique quand j'étais
enfant et que j'avais très envie de l’essayer.
« La question n’est pas de savoir si tu as fait ou non beaucoup de gymnastique quand tu étais enfant, mais de
connaître ton degré de calme maintenant », répondit Clara.
J'étais parfaitement calme, affirmai-je. Clara eut un rire
sceptique, mais me dit d’essayer si je voulais. Elle veillerait
sur moi pour assurer que je ne me casse rien en me courbant avec trop de force.
Je me plantai bien d'aplomb sur le sol, pliai les genoux et
commençai lentement à exécuter mon plus beau pont.
Mais, passé un certain point, je perdis l’équilibre et tombai
lourdement par terre.
« Tu es à cent mille lieues d’être calme, conclut aimablement Clara en m’aidant à me relever. Qu'est-ce qui te
tracasse, Taisha ? »"

Rédigé par Agnès

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